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 Explication de texte: La Loreley - Apollinaire

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MessageSujet: Explication de texte: La Loreley - Apollinaire   Explication de texte: La Loreley - Apollinaire Icon_minitimeMar 17 Mar - 18:31


Guillaume APOLLINAIRE


“La Loreley”

À Jean Sève.


À Bacharach il y avait une sorcière blonde
Qui laissait mourir d'amour tous les hommes à la ronde

Devant son tribunal l'évêque la fit citer
D'avance il l'absolvit à cause de sa beauté

Ô belle Loreley aux yeux pleins de pierreries
De quel magicien tiens-tu ta sorcellerie

Je suis lasse de vivre et mes yeux sont maudits
Ceux qui m'ont regardée évêque en ont péri

Mes yeux ce sont des flammes et non des pierreries
Jetez jetez aux flammes cette sorcellerie

Je flambe dans ces flammes ô belle Loreley
Qu'un autre te condamne tu m'as ensorcelé

Évêque vous riez Priez plutôt pour moi la Vierge
Faites-moi donc mourir et que Dieu vous protège

Mon amant est parti pour un pays lointain
Faites-moi donc mourir puisque je n’aime rien

Mon cœur me fait si mal il faut bien que je meure
Si je me regardais il faudrait que j'en meure

Mon cœur me fait si mal depuis qu'il n'est plus là
Mon cœur me fit si mal du jour où il s'en alla

L'évêque fit venir trois chevaliers avec leurs lances
Menez jusqu'au couvent cette femme en démence

Va-t'en Lore en folie va Lore aux yeux tremblants
Tu seras une nonne vêtue de noir et blanc

Puis ils s'en allèrent sur la route tous les quatre
La Loreley les implorait et ses yeux brillaient comme des astres

Chevaliers laissez-moi monter sur ce rocher si haut
Pour voir une fois encore mon beau château

Pour me mirer une fois encore dans le fleuve
Puis j'irai au couvent des vierges et des veuves

Là-haut le vent tordait ses cheveux déroulés
Les chevaliers criaient Loreley Loreley

Tout là-bas sur le Rhin s'en vient une nacelle
Et mon amant s'y tient il m'a vue il m'appelle

Mon cœur devient si doux c'est mon amant qui vient
Elle se penche alors et tombe dans le Rhin

Pour avoir vu dans l'eau la belle Loreley
Ses yeux couleur du Rhin ses cheveux de soleil


Analyse:

Lorelei (mot qui vient du moyen allemand «lürelei» [ de «lüren» : épier ; «lei» : rocher]) est le nom d’une falaise située, entre Sankt Goarhausen et Bacharach, sur la rive du Rhin dont le courant vient s’y briser. Aussi était-elle redoutée des mariniers, et, comme elle fut célèbre dès la plus haute l’Antiquité parce que l’écho s’y répète sept fois, est née au Moyen Âge une légende qui assurait qu’une sirène, dite la Lorelei, attirait par ses chants les bateliers qui venaient alors faire naufrage sur les rochers.
Cette légende a été reprise d’abord par le poète rhénan Clemens Brentano qui, dans un poème inséré dans son roman, “Godwi” (1801), de la sirène, fit une femme, Lore Lay :

La pauvre Lore Lay:
 
À Bacharach, au bord du Rhin, habitait une magicienne. Elle était belle et gracieuse. Elle séduisait facilement le coeur. Déjà, plusieurs hommes avaient souffert pour elle. Une fois qu'on était tombé dans ses liens d'amour, on ne pouvait plus s'en délivrer.
L'évêque la cita devant le tribunal ecclésiastique. Il voulait la condamner, mais il n'en eut pas la force, tant il la trouva belle. «Dis-moi, s'écria-t-il avec émotion, dis-moi, pauvre Lore Lay, qui donc a fait de toi une méchante sorcière?
- Seigneur évêque, laissez-moi mourir. Je suis lasse de la vie ; car tous ceux qui me regardent sont condamnés à souffrir. Le feu magique est dans mes regards, et mon bras est une baguette magique. Jetez-moi dans les flammes, détruisez mes enchantements.
- Je ne peux pas te condamner avant que tu m'aies dit comment il se fait que ce feu magique ait déjà pénétré dans mon sein. Je ne peux pas te condamner, car mon coeur se briserait en deux.
- Seigneur évêque, ne vous moquez pas d'une pauvre fille. Priez plutôt, priez pour moi le Dieu de miséricorde. Je ne veux pas vivre plus longtemps. Je ne peux plus aimer. Condamnez-moi à mort. Voilà tout ce que je vous demande. Celui que j'aimais m'a trahi ; il s'est éloigné de moi ; il est parti pour la terre étrangère. La douceur du regard, le frais incarnat du visage, la suave mélodie de la voix, voilà ma magie. Moi-même j'en suis victime. Mon âme est pleine de douleur, et je mourrais si je voyais mon image. Faites-moi donc justice. Laissez-moi mourir. Tout a disparu pour moi dans le monde, depuis que je ne vois plus celui que j'aimais.»
L'évêque appela trois chevaliers : «Conduisez-la, dit-il, dans un cloître, Va, ma belle Lore Lay ; que le ciel ait pitié de toi ! Tu deviendras nonne, tu porteras la robe noire et blanche. Prépare-toi sur cette terre au grand voyage de la mort.»
Les chevaliers partirent pour le cloître, et regardèrent avec tristesse la belle Lore Lay.
«Ô chevaliers ! s'écria-t-elle, laissez-moi monter sur ce rocher. Je veux voir encore une fois la demeure de mon bien-aimé ; je veux contempler encore une fois les vagues profondes du Rhin. Puis nous irons au cloître, et je deviendrai la fiancée du Seigneur.»
Le roc est taillé à pic, difficile à gravir. Mais elle s'élança rapidement jusqu'à son sommet, et là, debout, elle s'écria : «Je vois un bateau sur le Rhin ; celui qui guide ce bateau doit être mon bien-aimé. Oui, c'est sans doute mon bien-aimé, et la joie me revient au coeur.»
À ces mots, elle baissa la tête et se précipita dans le fleuve.
Là s'arrêta le chant du poète. Mais le peuple continua la tradition. Il raconte que Lore Lay apparaît encore au milieu du fleuve où elle s'est jetée, comme Sapho. Souvent on la voit à la surface des vagues, tresser ses longs cheveux ; souvent, le soir, on l'entend jouer de la harpe et chanter, et ceux qui prêtent l'oreille à ses chants, ne peuvent résister à la magie de sa voix, à la fascination de son regard. Ils abandonnent leur barque et se jettent dans les flots
.

Heinrich Heine reprit le thème de la Lorelei dans un poème du “Livre des chants” (1817-1826) intitulé «Ich weiß nicht, was soll es bedeuten» qui est devenu partie intégrante de la culture populaire depuis l’adaptation musicale par Friedrich Silcher, prenant même, à la fin du XIXe et au début du XXe siècles, la fonction de symbole national au même titre que les Walkyries. Mais il s’était inspiré du vieux conte médiéval, et avait fait de nouveau de la Lorelei une sirène qui se peigne les cheveux au bord du Rhin et provoque le naufrage d’un pauvre marinier.

Apollinaire s’est donc directement inspiré de l’histoire racontée par Brentano dans son poème, qu’il a écrit en 1902 et publié en 1904, qui est situé au milieu du cycle des “Rhénanes”. Il a adopté la structure de la chanson de toile médiévale, bref récit entrecoupé de dialogues. Les vers étant pour la plupart des alexandrins aux rimes suivies, le poème est composé de dix-neuf distiques qu’on va suivre ici.

Premier distique : Le poème commence comme un conte avec la formule traditionnelle «il y avait». «Sorcière blonde» étonne car la blondeur est le plus souvent associée à l’angélisme et à l’innocence, mais il est vrai qu’on est en Allemagne. Et, ainsi, dès l'ouverture du poème, est mis en valeur l’éclat de cette femme. Sa passivité est complète car elle ne dispose pas de ce bras qui est, chez Brentano, «une baguette magique», mais, étant malgré elle une femme fatale, une séductrice cruelle, une don juane, elle sème pourtant la mort autour d'elle, dans des vers toutefois qui, surtout par leurs rimes, ont un petit air guilleret.

Deuxième distique :
La Lorelei est assignée à comparaître par un évêque qui est un homme assez léger comme les prélats pouvaient l’être dans ces temps anciens et qui pourrait même l’avoir convoquée par pure (si l’on peut dire !) concupiscence. Mais le suspense qui aurait pu être créé par cette convocation est aussitôt dissipé par l’annonce de l’absolution, la rapidité des actions successives, rendues par des passés simples (dont «absolvit» qui est archaïque), est renforcée par la paronomase («devant» / «d’avance»). Cependant, la locution prépositive «à cause de» renforce le caractère inexorable de l’effet foudroyant de la beauté de la sorcière.

Troisième distique : Un dialogue est amorcé par l’évêque qui n’a pas le langage d’un juge mais se montre d’emblée séduit à son tour, son «Ô belle Loreley» étant animé de l’élan que lui donnent ses voyelles ouvertes et ses assonances. Badinant plutôt qu’exerçant la justice, il lui fait compliment de ses «yeux pleins de pierreries», qui ont donc l’éclat froid des pierres précieuses. Enfin, dans le souci de la disculper, il voudrait qu’elle lui livre le nom de son initiateur en sorcellerie qui serait donc le vrai coupable.

Quatrième distique : Mais, sur un tout autre ton, la Loreley exprime sa souffrance, se déclare désespérée plutôt que puissante sorcière. Elle repousse le compliment sur ses yeux qui sont donc, avec, dans une moindre mesure, sa chevelure, les seuls de ses attraits qui soient mentionnés (il n’est pas question chez Apollinaire de «la douceur du regard, du frais incarnat du visage, de la suave mélodie de la voix»). Pour elle, ses yeux sont «maudits» car ils ont un pouvoir de mort sur «ceux qui (l)'ont regardée», indication encore de sa passivité mais aussi menace à l’égard de l’évêque qu’elle se plaît d’ailleurs à interpeller comme pour le prévenir du danger. Sorcière, son pouvoir surnaturel lui est étranger, elle l'exerce contre son gré sans le maîtriser et elle en est la victime, elle est elle-même ensorcelée.

Cinquième distique : Elle précise que ses yeux sont «des flammes», ce qui renvoie à la brûlure de la séduction. Et, par un raccourci d’autant plus saisissant que les phrases sont simplement juxtaposées, pour elle, ces flammes en méritent d’autres, la répétition du mot et celle de l’injonction étant frappante : «Jetez, jetez aux flammes cette sorcellerie», dit-elle à l'évêque, le démonstratif «cette» soulignant l'horreur qu'elle éprouve pour le pouvoir de mort de sa maléfique beauté qui est pour elle une «sorcellerie» dont elle désire se purifier par les flammes du bûcher, celui sur lequel, au Moyen Âge, l’Inquisition brûlait les sorcières et les séductrices à la beauté néfaste et condamnable, sinon celles de l’enfer. Les flammes des yeux, étant infernales, doivent retourner à l’enfer par le chemin du bûcher. La Loreley apparaît donc, elle aussi, comme une victime de sa beauté. Ainsi se crée une intensité dramatique.

Sixième distique : À son tour, l’évêque se considère comme une victime car la séduction s’est exercée sur lui, il est subjugué. Le poète lui prête un langage très simple qu’indique la naïve redondance avec laquelle il avoue son amour qui est si grand qu’il en est douloureux et qu’il se voit déjà voué à l’enfer : «Je flambe dans ces flammes». Lui, qui cherchait déjà à la disculper, se désiste de sa charge de juge. Lui, qui voulait que la Loreley ait été la victime d’un «magicien», se dit «ensorcelé» par elle. Le vers 13 est marqué par une forte césure qui juxtapose la conséquence et la cause. La rime «Loreley» - «ensorcelé» (plus loin, au seizième distique : «déroulés» - «Loreley») indique qu’il faudrait prononcer à la française le nom de la sorcière.

Septième distique : Par une surprenante inversion des rôles des personnages, la Loreley admoneste l’évêque, lui reproche son manque de sérieux, le contraste étant fort entre «riez» (à comprendre comme : «vous voulez rire !», «vous vous moquez !») et «Priez» qui sont juxtaposés et font une rime intérieure. C’est la sorcière, qui est croyante, qui rappelle l’évêque à ses devoirs d’ecclésiastique ou simplement de chrétien en lui demandant d'intercéder en sa faveur auprès de la Vierge, l’intercesseuse par excellence, avec une insistance qui est rendue par l’allitération en «p» : «Priez plutôt pour». Dans le vers 15, elle réclame la mort par une véritable volonté suicidaire et en absout l’évêque par un souhait de la protection de Dieu sur lui, qui pourrait être sollicitée du fait à la fois de sa concupiscence et de ce jugement qui serait injuste. Avec «Vierge» - «protège», le poète ayant pris des libertés avec la prosodie, on a plus une assonance qu’une rime.

Huitième distique : La Loreley révèle la cause de son mal profond : plus tardivement que chez Brentano, elle avoue souffrir de l’éloignement de son amant et non de sa trahison. Il reste que son ressentiment contre lui est, semble-t-il, si grand qu’elle prétend n’aimer «rien». Exemple de la fatalité qui veut qu’on aime qui ne nous aime pas et qu’on n’aime pas qui nous aime, c’est donc parce que ses yeux auraient été impuissants à retenir le seul homme dont elle désirait être aimée que la mal-aimée les laisse donc exercer leurs ravages sur les autres hommes. Mais, s’en sentant coupable et étant lasse d’être abandonnée, elle souhaite être délivrée de la vie.

Neuvième distique :
La douleur amoureuse lui fait souhaiter la mort, attitude étonnante de la part d’une sorcière. Or cette mort, n’ayant pu être celle imposée par la justice ecclésiastique, devient celle qu’elle s’infligerait en se regardant, ce qui ne manque pas d’être d’abord ambigu : s’agit-il d’un regard intérieur, d’une introspection, ou du simple regard que permet un miroir mais qui la rendrait victime elle-même de la malédiction de son regard? Les deux vers sont marqués par la lourdeur de l’allitération en «m», et la mention de la mort est répétée un peu platement par la rime facile «meure» - «meure» qu’on devrait s’interdire selon les règles classiques.

Dixième distique : «Mon coeur me fait si mal» est d’abord l’écho du vers 18, mais est répété aussi le leitmotiv de l'amour non partagé dont l’origine est précisée dans une nouvelle reprise qui est cependant un souvenir cuisant de la séparation avec cet amant dont on ne sait pourquoi il est parti («du jour» = «depuis le jour»). Le presque parfait parallélisme des deux vers est souligné par les mots à la rime. Mais il faut remarquer que le vers 20 est composé de treize syllabes. Dans les quatre distiques où parle la Loreley, les vers sont nettement coupés en hémistiches qui indiquent bien son assurance.
[b]
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MessageSujet: Re: Explication de texte: La Loreley - Apollinaire   Explication de texte: La Loreley - Apollinaire Icon_minitimeMar 17 Mar - 18:32

Onzième distique : Le dialogue a cessé. L’évêque agit et apparaissent «trois chevaliers» dont sont indiquées les «lances» menaçantes. Un suspense est créé : quel rôle sont-ils appelés à jouer? Le vers suivant révèle que le juge n'a pas la force d'envoyer la Loreley sur le bûcher et préfère la déclarer irresponsable : «Menez jusqu'au couvent cette femme en démence».

Douzième distique : C’est avec une compassion, qui est en fait une preuve de sa faiblesse, que l’évêque, lui donnant affectueusement le diminutif de «Lore», et insistant sur son irresponsabilité («en folie», les «yeux tremblants»), voue la sorcière blonde au strict costume monacal qui unit le blanc, symbole de la pureté des vierges, au noir, symbole du deuil des veuves, le couvent allant être défini plus loin comme celui «des vierges et des veuves» (vers 31) qui doivent, selon l’évêque de Brentano, s’y préparer «au grand voyage de la mort».

Treizième distique : La Loreley, qui voulait la mort mais qui est une créature liée à la nature, ne pourrait pas vivre cloîtrée. Ces trois hommes martiaux qui sont chargés de la mener, elle semble d’abord vouloir les attendrir par des larmes, sans que le poète français les fasse, coome l’Allemand, la «regarder avec tristesse». Mais elle dispose toujours du pouvoir de ses yeux qui «brillaient comme des astres», comparaison qui souligne son accord avec le cosmos. Elle va donc tenter d’exercer sur eux sa séduction, et cette tentative s’étend dans le vers 26 qui est étiré jusqu'à dix-sept syllabes pour traduire aussi le grandissement surnaturel du personnage féminin.

Quatorzième distique : La perspective du couvent fait prendre à la Loreley, qui cesse donc d’être passive, une décision précipitée : avec un entrain que fait sentir l’éclat des trois «au» qui sonnent dans ces vers, elle demande aux chevaliers de pouvoir «monter sur ce rocher si haut» qui est donc la falaise réelle qui porte son nom. Plutôt que «la demeure de son bien-aimé» dont parlait Brentano, elle veut voir son «beau château», qui serait donc un de ces «burgs» qui, sur des éminences, jalonnent le cours du Rhin. Mais on peut s’étonner de cette mention qui fait soudain de la sorcière une aristocrate, Apollinaire adoptant donc la liberté illogique des contes.

Quinzième distique : La Loreley est habile : elle prétexte le besoin féminin de se «mirer encore une fois dans le fleuve», ce qui fait apparaître encore une fois le thème des yeux. Elle annonce sa soumission à la volonté de l’évêque avec une reprise de «une fois encore» qui sous-entend «une dernière fois». Le souvenir du vers 18 devrait indiquer aux chevaliers qu’elle est tentée par le suicide, que sa résignation, dont la ferveur est appuyée par l’allitération en «v» : «couvent», «vierges», «veuves», n’est qu'apparente. Le couvent était en effet, à cette époque, le lieu de réclusion auquel étaient vouées les femmes de l’aristocratie qui n’étaient pas sous la tutelle d’un père ou d’un époux.

Seizième distique : Après une ellipse où la demande de la Loreley a été satisfaite, les chevaliers ayant donc été d’autres victimes du charme de la séductrice, nous sommes, comme d’un mouvement de caméra, transportés au sommet de la falaise où l’action du vent confirme l'affinité secrète de la Loreley avec la nature. En tordant ses cheveux (mouvement féminin qu’appréciait Apollinaire qui, déjà, dans “Nuit rhénane”, avait fait voir des séductrices «tordre leurs cheveux verts et longs jusqu’à leurs pieds»), le vent la rend encore plus attirante pour les chevaliers dont, la caméra redescendant soudain, les cris, cependant, peuvent être provoqués par l’admiration comme par la prise de conscience de sa véritable intention, du regret de l’avoir laissée aller.

Dix-septième distique : C’est la Loreley qui parle, semblant victime d’une hallucination liée à son désir de revoir son amant ou jouant la comédie pour tromper les chevaliers : elle voit sur le fleuve «une nacelle», archaïsme qui désigne un petit bateau et qui est renforcé par ces autres archaïsmes, «s’en vient» (qui est encore très vivant au Québec), «s’y tient». Au vers 35, par une sorte de mise au point photographique, l’évocation se précise et, de visuelle, devient même auditive : «il m'a vue il m'appelle», ce dernier mot et «nacelle» étant des rimes qui soulèvent ce distique. Le rythme, ternaire, appuyé par l’allitération en «m», est saccadé.

Dix-huitième distique : La cruelle Loreley se sent transformée par la perspective de retrouver son amant : «Mon coeur devient si doux», la liaison entre les deux événements étant indiquée par la rime intérieure «devient» - «vient». Le dénouement, très bref, est contenu dans le seul vers 37, l’incertitude demeurant entre l’accident et le suicide, Apollinaire semblant reprendre la simplicité intrigante de Brentano.

Dix-neuvième distique :
Mais non ! Le poète français est bien plus subtil : il apparaît que la chute n’a pas été voulue et qu’elle n’en est que plus tragique. Dans sa joie de retrouver son amant, elle a oublié son propre funeste pouvoir et elle a subi la malédiction de ses yeux annoncée au vers 18. Nouveau Narcisse, elle a été victime de sa propre image (mais qu’en quelque sorte elle ne reconnut pas, comme le suggère l’objectivation : «la belle Loreley», dans un élan d’admiration qu’implique la légereté liquide de «dans l’eau la belle Loreley»), de la beauté de ses yeux (qui sont «couleur du Rhin» : la sirène n’est-elle pas une émanation du fleuve et qui y retourne après un passage dans le monde des humains?) et de «ses cheveux de soleil», le poème se terminant sur cette dernière mention de leur éclat. On peut comprendre aussi que l’appel de l'amant n'a été que la forme que prit l'appel du fleuve. La Loreley rejoindrait ainsi, comme une ondine, un de ces éléments naturels avec lesquels elle est en intime et mystérieuse communion, qui sont des partenaires de sa puissance, réaliserait une fusion cosmique avec l'univers auquel elle appartient, comme le laisse entendre la réunion des yeux, du Rhin, des cheveux et du soleil dans une totale harmonie. Dans ce cas, le poème ne serait plus un chant de deuil mais une apothéose comme le suggère la rime finale : «Loreley» - «soleil», qui est d’ailleurs plutôt une assonance où, cette fois, le poète exploite la prononciation allemande du nom de la sorcière.

Ce poème est donc à la fois :
- un conte comme le suggère le traditionnel «il y avait» du premier vers et comme l’indique nettement le caractère fantastique du personnage qui est une femme qui possède des pouvoirs surnaturels, une sorcière ; un conte folklorique lié à un lieu précis, la Rhénanie, et à une époque, le Moyen Âge, qui apparaît dans ces éléments conventionnels : l’évêque léger mais pourtant juge (d’où une certaine satire de l’Église ou la simple constatation que, pour être évêque, on n’en est pas moins homme !), les flammes du bûcher qui pourrait être celui de l’Inquisition, les «chevaliers avec leurs lances», le couvent ;
- une ballade, comme de nombreux poèmes allemands qui racontent, sur le mode fantastique, une légende dans laquelle un être humain est en lutte avec une créature surnaturelle, dont les yeux, ici, possèdent un pouvoir maléfique ;
- une complainte, sorte de chanson populaire sur un sujet tragique ou pieux ;
- une élégie, un chant de deuil, un poème fondé sur le lyrisme de l'amour tendre, triste et malheureux, une véritable transmutation de la souffrance en poésie.
Le sujet est vraiment tragique, la Loreley étant terrorisée par un pouvoir qui se retourne contre elle, accomplissant un destin qu’elle connaissait depuis toujours, qu’elle avait annoncé. Tout au long du poème, Apollinaire insiste sur le fait que la malédiction peut se retourner contre elle et que le malheur va se changer en folie.
S’il s’est inspiré du conte de Brentano, il l’a réécrit avec art dans ce poème à la fois traditionnel et riche de multiples innovations formelles.
À l’histoire populaire, il a emprunté la simplicité du lexique, le début par «il y avait une sorcière blonde» qui est propre aux contes, les reprises plaintives des ballades comme «Mon coeur me fait si mal», qui apparaît trois fois, «Mon beau château». Il emprunte aussi à la chanson les distiques, mais les siens ne forment pas toujours des unités autonomes : certains doivent être associés aux suivants pour se doter d’un sens, tels les deux derniers. En fait, dès qu'on supprime les blancs typographiques, on obtient une suite classique d’alexandrins en rimes suivies avec alternance entre les rimes masculines et les rimes féminines. Ces rimes, toutefois, sont plus pour l'oreille que pour l'oeil, souvent de simples assonances, montrent bien la destination orale du poème qui a une grande musicalité.
Mais Apollinaire inscrit aussi ce texte dans la modernité non seulement par la suppression de la ponctuation qui est généralisée dans “Alcools” mais par des ruptures de rythme, des jeux d’échos et de brouillage, des libertés prises avec la versification, plusieurs alexandrins étant brisés ou allongés.

Surtout, Apollinaire a donné à son personnage beaucoup plus d’ambiguïté, de richesse, de profondeur.
La beauté de la Loreley, littéralement fantastique, tient à sa chevelure (dont la légéreté s’accorde au vent et la blondeur au soleil) et surtout à ses yeux (que leur éclat rend à la fois fascinants et dangereux et qui sont en accord avec le cosmos et avec l'eau). Elle est donc liée aux éléments naturels, présente d’abord le mystère d'un être merveilleux. Mais, en fait, elle n'est pas un personnage surnaturel comme les sorcières, les ondines ou les sirènes, mais une femme, personnage ambivalent qui fait face à la mort de diverses façons.
Cependant, cette femme est-elle une amoureuse déçue, malheureuse, qui souffre de l’éloignement de son amant, éloignement qu’elle peut peut-être se reprocher, mal-aimée dont la plainte rejoindrait celle de tous les mal-aimés? Sans qu’il faille prendre le poème comme un texte autobiographique, elle serait alors le double, l’alter ego d’Apollinaire qui identifierait sa condition à celle d'une figure légendaire afin d'extérioriser et, bien sûr, d'exorciser son expérience de l'amour malheureux. Et c’est bien sa voix mélancolique de mal-aimé qu’on croit entendre dans «Mon coeur me fait si mal».
Ou, cette femme aimant sa propre personne, sa propre beauté qu’elle apprécie tant qu’elle semble chaque fois la découvrir dans un miroir, en tout cas dans celui que lui offrent les eaux du Rhin, n’est-elle pas alors la créature trop belle et trop froide, trop hautaine, que sa beauté même voue à l’insensibilité et à la solitude, rend dangereuse? On pourrait considérer que, prenant conscience de la puissance maléfique de sa beauté qui est pour elle une «sorcellerie»ressentant la culpabilité de cet auto-érotisme, elle souhaite une condamnation que, la société ne la lui infligeant pas, elle se donne finalement. D’une part, elle sème la mort autour d'elle et, d’autre part, elle veut mourir et meurt en effet, le verbe «mourir» revenant cinq fois dans le poème. Dans cette femme malheureuse et rendant les autres malheureux, Apollinaire, le mal-aimé plein de ressentiment, aurait donc vu nulle autre qu’Annie Playden, plusieurs poèmes des “Rhénanes” et surtout “La chanson du mal-aimé” criant aussi la douleur que cette froide Anglaise lui fit subir.
Cependant, reprenant cette légende d'amour et de mort, à la différence de Brentano, Apollinaire ne porte pas de condamnation morale : la mort est la seule issue et le seul apaisement à cet amour qui rend fou.
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Explication de texte: La Loreley - Apollinaire
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